Descrição
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, il n’est, dans cet ouvrage, pas tant question des morts que des vivants, des survivants. Le rôle particulier joué par le souverain dans les institutions médiévales fait que sa mort échappe à la dimension intime, familial, pour devenir publique. Dès 1063, elle devient, avec Ferdinand Ier de León, l’objet d’une véritable mise en scène sur plusieurs jours, caractère qu’elle ne perd plus dès lors, du moins dans les textes, que ce soit pour glorifier le défunt (ainsi de Jacques Ier d’Aragon ou, surtout, de la mort chevaleresque entre toutes de son père Pierre II à la bataille de Muret) ou au contraire pour le décrier (ce que font les textes castillans évoquant la fuite éperdue de l’aragonais Alphonse le Batailleur).
Pour les souverains, la mort est aussi une transformation du statut, un passage vers un autre état, celui à la fois de modèle pour ses successeurs et de fondement de la légitimité du royaume. L’élection de sépulture voit ainsi s’affronter deux logiques, celle, commune à l’ensemble de la noblesse des XIe, XIIe et XIIIe siècles, de la famille et de la piété personnelle d’une part, et celle de la légitimité dynastique et de l’affirmation territoriale de l’autre. Les royaumes de la péninsule ibérique, aux frontières perpétuellement mobiles entre le règne de Sanche le Grand et ceux de Ferdinand III en Castille et León et de Jacques Ier en Aragon, le reflètent pleinement, succession de fondation de lieux de sépultures royales et de transfert de celles-ci, où la présence du corps d’un souverain en un royaume est source de légitimité pour les souverains, mais aussi de préséance pour un souverain sur son voisin, et où, au contraire, un souverain ayant, aux yeux de sa noblesse ou de son successeur, failli peut, comme Sanche VII de Navarre, se voir exclu de la nécropole royale.
La péninsule est, aux XIe et XIIe siècles, un lieu d’expérimentation tant pour l’organisation des sépultures, qui là encore voit s’affronter logique familiale et logique politique, que pour leur forme, renforcée par la réticence quasi généralisée des souverains (à l’exception de Ferdinand II et d’Alphonse IX de León) à la forme du gisant. Dans l’un et l’autre domaine, ces recherches hispaniques furent source d’inspiration au XIIIe siècle pour les dynasties capétienne et plantagenêt et pour la noblesse qui les entourait, notamment par le biais des mariages entre les grandes familles de l’un et de l’autre côté des Pyrénées, occasion, tout particulièrement à la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, d’un resserrement des liens entre les dynasties de l’Europe occidentale.
En cela, les monuments funéraires des rois de la péninsule ibérique qu’étudie cet ouvrage sont non seulement des oeuvres d’art d’une qualité parfois exceptionnelle, mais aussi des témoins privilégiés à la fois de la nature de la royauté dans la péninsule ibérique et de liens tissés entre ici-bas et au-delà bien plus complexe que ne le laissent apparaître les seuls textes théologiques.